samedi 27 février 2021

Interview d’Ananivi Hosé Koudouovoh : « On doit intégrer l’enseignement de la poésie dès le bas âge »



Togo  - Il veut passer par la poésie pour promouvoir la justice et l’équité sur terre. Homme de lettres, Ananivi Hosé Koudouovoh, sonnettiste « hors pair », fait reconnaître la place du Togo dans le concert des nations. « Je voudrais que le Togo sorte de sa léthargie, le Togo est l’or de l’humanité et l’or de l’humanité doit briller. Mais pour que l’or brille, il doit passer par le feu. Et le temps où le Togo est passé par le feu est déjà passé car c’est du Togo que va jaillir la paix mondiale », a-t-il indiqué dans une interview accordée à l’Agence de presse Afreepress. Il est considéré comme le roi du sonnet, une forme de poésie à forme fixe, fait d’alexandrins. Pour d’autres encore, c’est l’élève lointain de Victor Hugo et de Voltaire. Pour lui, on doit intégrer l’enseignement de la poésie dans l’éducation dès le bas-âge.

Lire l’interview

 

Afreepress.info : Bonjour Monsieur Ananivi Hosé Koudouovoh, trois recueils de poèmes dédicacés en quelques mois et vous avez encore plusieurs écrits, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour sortir de l’ombre ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Le poète doit savoir quand il faut sortir de l’ombre, sinon on est englouti dans la masse automatiquement. Je fais le travail de poète depuis 21 ans au moins et la publication de mes premiers poèmes remonte à 2008 dans mon blog « Tempo di Africa » qui est lu sur les cinq continents dans 102 pays au moins dans le monde et qui est traduit en 42 langues. Cela veut dire que je ne suis pas dans l’ombre.

Afreepress.info : Aujourd’hui, vous mettez à la disposition de vos lecteurs trois recueils, à savoir Lamentations sur la Côte d’Ivoire, L’Entrée dans le repos de l’Éternel et Sel et lumière dans ma cité. De quoi parlent ces trois recueils ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Ces trois recueils ont un fil d’Ariane qui les unit, c’est une façon pour moi de promouvoir la justice et l’équité sur la terre. Le premier recueil était un cri de détresse mais aussi une tentative de faire parler l’Afrique qui était désorbitée, sans voix  lorsque la communauté internationale, avec l’aide des dirigeants africains, a tenté de détruire la Côte d’Ivoire et d’arrêter le Président Laurent Gbagbo. C’était pour moi un plaidoyer pour la reconstruction de ce beau pays. L’Entrée dans le repos de l’Éternel fait flamboyer l’avenir et ça nous permet de nous interroger sur notre pays le Togo, sur l’Afrique qui est mon continent et sur le monde entier. J’ai une ambition, c’est d’étendre de nouveaux cieux et de fonder une nouvelle terre pleine de justice et d’équité.

Afreepress.info : Vos écrits font flamboyer l’avenir. Que voulez-dire par là ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Je voudrais que le Togo sorte de sa léthargie, le Togo est l’or de l’humanité et l’or de l’humanité doit briller. Mais pour que l’or brille, il doit passer par le feu. Et le temps où le Togo est passé par le feu est déjà passé car c’est du Togo que va jaillir la paix mondiale. Cette paix mondiale est prête à jaillir d’un instant à l’autre et ce sera visible dans les plus brefs délais. Moi je le vis déjà, c’est pourquoi j’en parle parce que le même esprit qui a animé le poète Dosseh-Anyron pour écrire l’hymne national, c’est le même esprit qui m’anime et qui me permet de dire ça sans crainte ni frayeur.

Afreepress.info : Un mot sur la forme de vos poèmes. Monsieur Koudouovoh, vous adorez le sonnet, poème à forme fixe avec des rimes et des alexandrins. Dites-nous, vous êtes considéré comme le roi du sonnet, comment arrive-t-on à chaque fois à accoucher des sonnets sans discontinuer ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Je suis un artiste qui travaille avec parcimonie, je ne veux pas écrire un texte qui n’est pas parfait, c’est pourquoi je prends du temps. Et lorsque je suis inspiré, je travaille avec beaucoup de rigueur. Mais le problème avec le temps, je suis tellement habitué au sonnet que je n’en souffre pas. On dit que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Mon inspiration me vient de Dieu et c’est son esprit qui me communique souvent ce que j’ai à écrire. Et si je me connecte à l’Esprit, les choses arrivent aisément. Mais il faut reconnaître que je fais un travail patient depuis des années dans l’ombre. J’ai appris à écrire le sonnet dès 1995, j’ai lu presque tous les grands sonnettistes depuis le XVIème siècle, même depuis le Moyen-âge. Je les ai lus et j’ai incorporé leurs textes en mon âme et pour écrire, les choses sortent aisément. Mais c’est un travail patient. J’ai appris à maîtriser l’alexandrin, j’ai appris à maîtriser les poèmes de quatorze vers, ensuite, j’ai appris à rimer sans problème pour que les rimes ne soient pas forcées et pendant longtemps, j’ai été joueur de lettres, ce qui fait que j’ai lu presque tout le dictionnaire au moins deux fois, les mots sont connus, c’est pourquoi ils viennent.

Afreepress.info : En quoi vous êtes le roi du sonnet ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Je suis le roi du sonnet parce que historiquement, aucun poète n’a écrit plus de sonnets que moi. Celui qui en a écrit le plus, c’est Joachim Du Bellay mais il en a écrit 323, mais moi, j’ai déjà publié 442 sonnets dans mon blog Tempo di Africa et j’ai plus de 500 sonnets à mon actif, c’est pourquoi je suis le roi du sonnet.

Afreepress.info : On fait de vous aussi l’élève lointain de Voltaire et Victor Hugo.

Ananivi Hosé Koudouovoh : Le problème, c’est que mon engagement littéraire est un engagement qui transcende tous les clivages, politique, religieux, culturel, si bien que comme je n’ai pas froid aux yeux, comme je dis ce que j’ai à dire de façon crue, sans ménagement, mais de façon artistique, les gens ont compris que l’engagement que j’ai aujourd’hui, ressemble à l’engagement de Voltaire et de Victor Hugo en leur temps. Sauf que moi, j’écris et je ne fuis pas, je suis là et je dis ce que j’ai à dire ouvertement, sans vivre en exil.

Afrepress.info : Mais il faut reconnaître que ce n’est pas tout le monde qui comprend ce que vous écrivez et lorsque vous vous attaquez à quelqu’un, il faut qu’il vous comprenne d’abord.

Ananivi Hosé Koudouovoh : Je ne m’attaque pas aux gens, je n’écris pas pour détruire un homme, j’écris pour que Dieu les émonde, en écoutant la voix de l’Éternel, qu’ils se transfigurent. C’est la transfiguration que je recherche, je cherche à les améliorer et ce travail, ce n’est pas seulement vers les hommes politiques ou les leaders d’opinion, je fais un travail sur moi-même tous les jours. Chaque fois que Dieu me pointe du doigt une tâche, une pourriture, je l’enlève. Dans mes recueils j’écris pour m’émonder moi-même, pour me transfigurer. Je n’écris pas pour détruire les hommes politiques ou les leaders religieux. Si le poète est là et qu’il peut s’intéresser aux besoins vitaux de la société, pourquoi ne voulez-vous pas qu’il parle des choses de façon véridique pour améliorer la situation dans son pays ?

Afreepress.info : À chaque fois, il y a un mot qui vient, Dieu. Quel rapport entre Dieu et la poésie ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Dieu est le plus grand poète ; il est le seul à utiliser prioritairement les poètes pour parler ; il n’y a pas un seul écrivain dans la Bible qui ne soit pas poète. Comme la poésie est l’art de dire de la meilleure façon les choses, Dieu ne peut s’adresser à des gens qui ne peuvent pas dire les choses de la meilleure façon. C’est pourquoi il y a une relation entre Dieu et les poètes. Victor Hugo disait que la poésie est l’étoile qui mène à Dieu, rois et pasteurs. Je suis dans la même lignée que lui.

Afreepress.info : Aujourd’hui, quel conseil donnez-vous à la jeunesse qui s’intéresse à l’art poétique ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : On doit intégrer l’enseignement de la poésie dès le bas âge, on doit veiller à ce que celui qui enseigne la poésie ne soit pas simplement là pour faire de la figuration. Les professeurs doivent aimer la poésie et on doit savoir qu’ils communiquent aux élèves leur passion de la poésie. Quand celui qui enseigne n’a pas lui-même la passion de ce qu’il enseigne, ça ne touche pas les cœurs. Aux jeunes poètes et aux poètes en herbe, je voudrais qu’ils ne divinisent pas seulement l’inspiration mais qu’ils fassent un travail patient, raisonné, approfondi, qu’ils s’intéressent aux grands poètes qui les ont devancés, on apprend beaucoup à les lire et c’est ensuite qu’on peut arriver à leur ressembler et à les dépasser. Ce n’est pas avant.

Afreepress.info : Dans Lamentations sur la Côte d’Ivoire, vous avez fait un sonnet pour Laurent Gbagbo par rapport à la crise ivoirienne dernière. Qu’avez-vous dit à Gbagbo ?

Ananivi Hosé Koudouovoh : Le sonnet pour Laurent Gbagbo est un hommage à un homme politique qui a lutté pour l’affirmation des valeurs culturelles africaines. Laurent Gbagbo a voulu que la Côte d’Ivoire soit respectée dans le concert des nations, que la Côte d’Ivoire ne soit pas un canton de la France colonialiste du Président Nicolas Sarkozy et avant lui, un canton de la France du Président Jacques Chirac. Il a défendu la Côte d’Ivoire bec et ongles contre ceux qui de loin ou de l’extérieur voulaient leur donner des ordres et ça a déplu à la communauté internationale, à l’Occident conquérant et avec l’aide des pachas africains, on l’a délogé. Mais, il a fallu qu’un homme comme ça soit là pour que ma poésie émerge parce que pendant longtemps, j’ai écrit mais je n’ai pas fait de la satire. J’ai écrit, rien que des textes élogieux, j’abondais plus dans l’épopée que dans la satire. Il a fallu que Laurent Gbagbo lutte et qu’il soit arrêté et déporté pour que ma voix émerge et ma voix sera écoutée par des millions d’Africains.

Afreepress.info : Nous allons parler d’un poème particulier, le texte de l’hymne national, la « Terre de nos aïeux ». Qu’en savez-vous ?

Ananivi Hosé Koudouovoh: La Terre de nos aïeux est un hymne fédérateur qui effrite les tyrans et qui fait flamboyer l’avenir radieux du Togo, or de l’humanité qui doit briller comme une étoile au firmament, pour fédérer toutes les nations, pour amener vers la terre de nos aïeux, tous ceux qui pendant longtemps nous ont opprimés et tous ceux qui pendant longtemps ont cru que nous étions des marionnettes, alors que nous ne sommes pas faits pour en être une, nous sommes faits pour être la tête de pont du monde entier. Moi, je vois déjà briller l’aurore et je sais que le pan là est déjà venu.

Afreepress.info : Un mot de fin

Ananivi Hosé Koudouovoh : Je veux que mes lecteurs lisent mes textes sans préjugés et qu’au lieu d’aller à la critique destructrice, qu’ils s’évertuent à trouver la rhétorique profonde de mes textes, chose sans laquelle, on ne comprend pas les textes qu’on ne peut pas juger dans ce cas. Mon engagement littéraire est d’abord un engagement humain, j’ai compris qu’on ne peut pas prétendre servir Dieu en chosifiant, en piétinant, en asservissant autrui.

 

Propos recueillis par Kofi Telli en avril 2014 à Lomé. Source Afreepress

jeudi 25 février 2021

TOCCATA DE BRIANNA



Je suis hypnotisé par tes yeux lumineux,

Ton regard bienveillant : tes rondeurs séduisantes

M’entraînent comme un cerf altéré vers les plantes

Mythiques, fondant ta vie sur le numineux ;

 

Hôtesse de terre, tu marches à Bagneux

Comme une gazelle, le côté de Guermantes

Tourné vers le levant, rehaussant ta descente

Dans l’arène, jument grise sans cri haineux ;

 

Ton opéra à ciel ouvert suffit à taire

L’élite de l’armée céleste, commentaire

Composé pour régner sans fin, le chef d’orchestre,

 

Ton humble serviteur, sur le quai d’une gare,

Restauré à foison, son troupeau sans bagarre,

Ton nef d’acropole, ouvert aux plaisirs équestres !

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         22 janvier 2021.

 

 

 

   

mercredi 24 février 2021

EMMANUEL MACRON, FIN DE PARTIE



« Ce jour-là, j'appellerai mon serviteur Éliakim, le fils de Hilkija. Je lui ferai enfiler ta tenue, je lui mettrai ta ceinture et je remettrai ton pouvoir entre ses mains. Il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la communauté de Juda. Je mettrai sur son épaule la clé de la maison de David: quand il ouvrira, personne ne pourra fermer, et quand il fermera, personne ne pourra ouvrir. »

(Ésaïe chapitre 22, versets 20 à 22)

J’ai brisé le sceptre d’iniquités du roi

De France, son orgueil de pédant, marionnette

Des banquiers odieux, détruit : bergeronnette,

J’avais plaidé pour son trône ténébreux, froid

 

Comme l’ours polaire, méprisant l’interroi

Accumulant des échecs au sommet, sa minette

Défigurée, parois bien bouchées, sa vignette

Amassant des trésors pour son clan, ma courroie

 

Portant l’estocade à son quartier général

Patibulaire ; j’ai tranché pour sa chorale

Au chant faux, leur portée bâtarde ébiselant

 

Nos populations opprimées, mutilées,

La terreur sous cape, l’horreur de leurs filets

Maudits les jugeant sans pitié, ensorcelant !

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         24 février 2021.     

AUTOPORTRAIT 72




Je passe à Paris les plus beaux jours de ma vie,

Dans la consécration, écoutant l’Éternel,

Obéissant à sa voix : je romps les vannelles

De l’esclavage des humains, ô ses parvis

 

Ouverts pour recevoir les proscrits sans l’avis

De leurs oppresseurs en pâture, ces charnels

Qui plombent l’avenir de la terre, tunnel

Obscur, leurs idoles confondues, leur lavis

 

En déliquescence ; je célèbre l’amour

Sans hypocrisie, sans mensonge, désamour

Du monde d’antan en écharpe, la traîtrise

 

De mes frères et sœurs défaits en bandoulière ;

J’ai repris mon trône d’empereur, la meulière

De mon pays natal déloyal en prêtrise !

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         19 février 2021.   

 

 

 

 

 

 

 

dimanche 21 février 2021

NOUVEAU TROPHÉE DE GUERRE



« Ô mort, où est ta victoire? Ô mort, où est ton aiguillon?

 

 L'aiguillon de la mort, c'est le péché; et la puissance du péché, c'est la loi.

 

 Mais grâces soient rendues à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ! »

 

(1 Corinthiens chapitre 15, versets 55 à 57)

 

J’ai vaincu l’esprit de mort qu’on m’a envoyé

Méchamment pour ruiner ma vie : j’ai renvoyé

La balle aux méchants qui s’empiffrent de leur sang

Comme du moût, de leur chair comme d’un mets sans

 

Rémission ; j’ai plombé leur voûte sans pitié,

Confondu leurs couvents obscurs, inimitié

Contre Dieu ; j’ai frappé leurs complices nombreux

D’apoplexie fondant sur le vrai cep l’hébreu

 

De mes résolutions ; j’ai porté l’estocade

Aux insensés et aux aveugles, leur rocade

Enténébrée sur la sellette, leur jument

 

Efflanquée, leurs poulains, leur cheval de bataille

Entièrement détruits ; j’ai annoncé la taille

De leur ignominie, rempli mon instrument !

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         22 février 2021 – Ajaccio.     

 

samedi 20 février 2021

SONNET POUR MAXIMILIEN DOTSE AMEGEE


 

Je suis Pape de la poésie togolaise :

Ma tradition de l’ut pictura poesis

Étonne le monde entier par la mimésis,

Ma praxis, spectacle époustouflant, un mélèze

 

Enté sur un palmier croissant ; je mets à l’aise

L’Occident conquérant, l’Afrique, une oasis

Dans le désert glacial ; mes tableaux en myosis

Surprennent le musée du Louvre, roi balaise

 

Cachetant mon miel franc, mon trésor du jardin

Tropical en gelée, mon art de Guichardin

Sous les feux des rampes, l’étendard de la paix

 

Réinventé sans fin ; ma montagne sacrée

Déroule, majestueux, les proscrits massacrés

Dans le dédale des faux beaux jours qui jappaient…

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         19 février 2021.  

 

jeudi 18 février 2021

HYMNE POUR LE 26 SEPTEMBRE



Je suis plus que vainqueur, l’Éternel des armées

Combattant pour moi : je m’appuie sur vérité,

Promesses du Seigneur, narguant réalité,

Traquenard du diable, ses agents bien armés

 

Pour nous rabâcher les oreilles ; réarmé,

Je triomphe toujours de leur adversité

Restaurant ma maison d’adoption, ma cité

Immunisée contre le Covid, très charmé

 

Par la Parole de Dieu qui renouvelle

Notre intelligence, envoie notre caravelle

Au-delà de nos mers, régénère ma vie

 

Fondée sur le rocher des âges, conquérant

La création déchue, ma droite cogérant

Les noces de l’Agneau, étendant mes parvis !

 

         Ananivi Hosé KOUDOUOVOH

         7 février 2021 – Villiers-le-Bel.

 

mardi 16 février 2021

Les héros sanguinaires



Sujet : Écriture d'invention

Deux amis discutent des spectacles qui prennent pour héros un tyran sanguinaire, un assassin. L'un souligne les dangers de cette idéalisation, l'autre en montre la nécessité.

Rédigez le dialogue théâtral qui met en place leur affrontement et leurs arguments.

 

Personnages

JADE ORLECHOCOLA

TOM HATECERIZ

 

Acte I, scène 1

JADE, TOM

Les deux personnages sont dans un salon aux tons pâles. Une fenêtre donnant sur la rue nous informe qu’il est encore tôt. Sur la droite du salon, séparé par un mur se tient la cuisine rouge et noire. Tom et Jade sont assis dans un canapé bleu turquoise devant une télé passant un générique de fin. Tom est vêtu d’un sweat noir simple et d’un jogging gris ample. Jade porte un short en jean et un t-shirt blanc à rayures noires, ainsi que des bretelles. Le premier a l’air ravi, un grand sourire aux lèvres, tandis que l’autre apparait soucieuse. Tom lance la conversation sur un ton enjoué.

TOM 

Il se penche vers la petite table basse en sifflotant et y ramasse la télécommande pour changer de chaine.

Caligula est vraiment une pièce grandiose !

JADE

Elle se redresse et pose sa tête dans ses mains d’un air ennuyé.

Si tu le dis…

TOM

En plus savoir que c’est tiré d’un personnage historique aussi important que César, d’une personne ayant vraiment existé, la rend encore plus incroyable.

JADE

Elle secoue la tête en soupirant.

Je dois t’avouer que je n’aime pas ce genre de héros.

TOM

Il se retourne vers elle.

Ce genre ?

JADE

Tu sais, les héros qui sont en fait méchants.

TOM

Caligula n’est pas si méchant arrête.

JADE

Elle se lève avec un rire nerveux et se dirige vers la fenêtre pour l’ouvrir.

Pas si méchant ? Il tue des gens et force sa maitresse à l’aider dans ses méfaits.

TOM

C’était la vie d’avant, tout le monde tuait tout le monde, et tout le monde avait des maitresses. 

JADE

Elle sort du salon et entre dans la cuisine.

Non, cet empereur était fou. Tu veux boire quoi ?

TOM

Pas fou, juste triste. Tu imagines ce qu’il a pu ressentir quand sa sœur est morte ?

JADE

Elle ouvre un placard et cherche deux verres.

Tu veux dire lorsqu’une autre de ses amantes est morte oui. Surtout qu’il dit lui-même que sa tristesse n’a pas duré aussi longtemps que certains peuvent le penser.

TOM

Il se lève à son tour et s’assoit à une chaise de la cuisine, laissant la télévision allumée sur une chaine de musique.

On aura beau dire ce que l’on voudra, la perte d’un être cher rend malheureux n’importe qui. Caligula devait se mentir à lui-même. Oh je veux bien un jus de fruit s’il te plait.

JADE

Elle dépose les verres sur la table et plonge la tête dans le réfrigérateur.

Certes, mais dans ce cas-là, pourquoi tuer et rendre malheureuses les dernières personnes qui lui étaient restées fidèles ? Celui à la framboise ou à la mangue ?

TOM

Parce qu’il était aveuglé par la douleur du deuil, il ne se rendait pas compte de ses actes.

Il ferme les yeux, pris d’une grande réflexion.

Je vais prendre mangue.

JADE

J’ai rarement vu d’autres personnes tuer après avoir perdu quelqu’un. Il était fou plutôt.

TOM

Il est tout de même intelligent je trouve. Il se doute bien du complot que ses patriciens préparent pour le tuer, mais il parvient quand même à s’en mettre certains dans la poche.

JADE

Elle sert les verres avec une lenteur extrême, donnant un coup d’œil vers le salon où passe un chanteur qu’elle n’apprécie pas.

Il se prend pour Dieu, pour une personne possédant toute la liberté d’autrui et pense détenir tous les pouvoirs grâce à sa position d’empereur.

TOM

Il arque un sourcil en prenant son jus de mangue.

N’est-ce pas réellement ce que pense chaque empereur ? Et puis toutes ses pensées sont données de manière humoristique dans la pièce.

JADE

Elle s’énerve de plus en plus, comprenant que la télévision est en train de passer un concert du chanteur qu’elle n’aime pas.

L’humour est présent parce que Camus l’a bien voulu. Il parait qu’il a adouci le personnage de César pour qu’il fasse un peu plus pitié au public.

TOM

César était jeune, venait de perdre sa sœur, et ses patriciens voulait attenter à sa vie, évidemment qu’il n’apparaissait plus comme quelqu’un de sain.

JADE

Elle se lève d’un bond pour aller éteindre la télévision.

Il fallait s’attendre aux représailles des patriciens puisqu’il s’amusait à tuer leur famille ! Et il embarque son amante dans ses meurtres pour finir par la tuer elle aussi malgré sa fidélité ! Je ne sais comment tu peux prendre en pitié un tel personnage.

TOM

Il retourne dans le salon.

Tout simplement car c’est un être humain. Malgré tout ce qu’il a fait, il n’en est pas moins quelqu’un qui a des sentiments et qui n’a pas su les gérer à la mort de sa sœur.

JADE

Nous sommes aussi des êtres humains et je ne me souviens pas avoir tué après la mort de ma grand-mère.

TOM

Ce n’était pas la même époque qu’aujourd’hui, le meurtre n’est plus permis car punissable. Et puis tu n’as pas son grade non plus. Toute sa vie César a dû entendre les autres lui répéter qu’il était tout puissant car c’était un empereur, alors il se croyait tout permis.

Il croise les bras. Un rictus apparait sur ses lèvres alors qu’il se penche en avant vers son amie.

Aussi, dois-je te rappeler que tu avais neuf ans quand ta grand-mère est morte ?

JADE

Elle tourne vivement la tête en rougissant.

Oui bon d’accord. Mais cela ne m’empêche pas de penser que donner comme exemple, et encore plus comme héros, des personnages sanguinaires n’est pas une bonne chose. Imagine si certains se mettaient à le copier !

TOM

C’est que ces gens là ont un problème mental. Personne de censé ne suivrait son exemple. Je pense au contraire que ce genre de personnages est essentiel pour voir les limites à ne pas dépasser.

 

Acte I, scène 2

JADE, TOM

JADE

Elle s’assoit sur le canapé, visiblement intéressée par son point de vue.

Tu veux dire des personnages fous ?

TOM

Il la rejoint sur le canapé.

Oui ! Regarde, la folie est aussi utilisée dans des histoires modernes comme morale.

JADE

Tu as d’autres exemples ? Parce que je dois t’avouer que ce genre d’histoires ne m’intéresse pas trop.

TOM

J’ai un exemple que tu connais bien pourtant.

JADE

Vraiment ? Lequel ?

TOM

Frankenstein de Mary Shelley.

JADE

Je ne vois pas le rapport avec la morale. La créature est mauvaise et tue toute la famille de Frankenstein pour son bon plaisir.

TOM

C’est une punition pour Frankenstein qui l’a créé en premier lieu ! Il s’est pris pour l’égal d’un Dieu en donnant la vie et il meurt.

JADE

Je dois avouer que j’avais plus pitié pour lui dans cette histoire que pour la créature.

TOM

Pourtant c’est bien Frankenstein et les Hommes qui l’ont abandonnée.

JADE

Oui je vois… Donc Frankenstein était un fou aveuglé par ses ambitions comme Caligula.

TOM

Exactement ! Et pourtant, personne, du moins de ce que j’ai entendu parler, n’a retenté l’expérience de Frankenstein et n’a fait de créature.

JADE

Pas faux.

TOM

Tout comme Frankenstein, Caligula est une pièce qui montre les limites que les Hommes ne doivent pas dépasser en se prenant pour des dieux, sinon la punition de la nature serait la mort.

 

Acte II, scène 1

JADE

Jade, un jeu de cartes en main, s’installe au sol sur un coussin autour de la petite table du salon. Tom est dans la cuisine et met au four une pizza. Par la fenêtre, tout est noir montrant que la nuit est déjà tombée. Elle mélange les cartes, puis ralentit son mouvement jusqu’à totalement l’arrêter.

Je le sais, il n’a pas tort. Savoir ce personnage si misérable fausse mon ancienne vision de lui. Pourtant je ne peux que me rappeler à ses grands périls les outrages qu’il a commis. Femme, enfants, vieillards… Tués par le tyran ! Une simple impulsion ? Une curiosité malsaine ? Ah que de délits si peu pardonnables pour un seul être ! Ce n’est pas un exemple, je le vois, je le sens, mais est-il la représentation même d’une morale lorsque d’autres tels que lui existent en ce monde ? Peut-être est-il un modèle de pouvoir pour ces démocrates crapuleux qui persécutent leurs peuples, pour ces parents qui maltraitent leurs enfants, pour ces patrons qui se croient au-dessus des lois.

Elle dépose une première carte sur la petite table de bois à son opposé.

Non, Tom a finement compris ce que je ne saisis point. Était-ce un tyran, il n’en reste pas moins homme. Fervent serviteur de l’humanité, son espoir n’était-il pas l’immortalité pour notre race par sensibilité ? S’il devenait dieu, alors nous le serions aussi ! Tous un.  

Elle pose une deuxième carte, mais devant elle cette fois.

Mon Dieu, mais qu’est-ce que je raconte ! Un homme provoquant douleur et terreur autour de lui ne peut être bon ! Même par malheur, nul ne peut tuer et commander par tyrannie. Le pouvoir l’a rendu aveugle et il s’est brûlé les mains dans la disgrâce de la pire des façons. Il a tourné le dos à ses semblables, s’est retourné vers la divinité, et a détourné son chemin de la bienfaisance des plus grands. Une telle existence n’est de bon augure pour personne et ne devrait être montrée au monde, et ce, encore moins en tant qu’héros d’une histoire, d’une pièce, ou que sais-je d’un film !

Elle lâche soudainement les cartes sur la table, les laissant éparpillées et désordonnées.

Je ne sais plus ! Doit-on le montrer ? Le cacher ? Qu’est-il bon de faire ? Est-ce bien de donner une morale ambiguë, ou mal de ne jamais faire savoir le côté sombre que l’être humain possède ? Mais cela ne dépend donc pas des goûts, plutôt des personnalités ? Devrait-on autoriser Caligula pour certains, l’interdire pour d’autre ? Comment faire une sélection ? Je sens que cette pensée me trouble et que je ne peux la résoudre seule.

 

Acte II, scène 2

JADE, TOM

Tom démarre la cuisson de la pizza et rejoint Jade dans le salon. Il la voit en train de ramasser toutes les cartes pour les mélanger à nouveau.

JADE

Elle continue de mélanger le paquet de cartes.

Tu sais, j’ai quand même un doute sur cette histoire de morale que personne ne reproduit avec les héros sanguinaires.

TOM

Je croyais avoir répondu à toutes tes interrogations.

JADE

Elle forme deux petits paquets égaux avec les cartes sur la table.

Je sais bien, mais j’ai repensé à tout ce que tu m’as dit, et une œuvre m’est venue à l’esprit.

TOM

Il s’assoit en face de son amie.

Laquelle ?

JADE

La pièce de théâtre qu’on a vu la dernière fois à la télé.

TOM

Je soussigné Cardiaque ?

JADE

Oui voilà, et je me disais, Mallot est bien le héros de cette histoire non ?

TOM

Eh bien oui.

JADE

Alors pourquoi est-il considéré comme un héros sanguinaire ? Perono est bien plus sanguinaire que lui. Bataille ?

TOM

Bataille. Et Perono n’est pas sanguinaire.

Il prend la première carte de son paquet et la retourne.

Dame de cœur.

JADE

Il achète les gens avec de l’argent.

Elle retourne sa carte.

Roi de trèfle, je gagne.

TOM

Certes mais ils ne sont pas maltraités. Et puis, ils ont l’air de tous l’aimer.

Six de carreaux.

JADE

Sont-ils vraiment heureux ? C’est son argent qui fait leur bonheur imaginaire.

Trois de pic, tu gagnes.

TOM

Je pense que les personnes qui l’entourent sont bien plus heureuses que celles autour de Mallot.

Vallet de trèfles.

JADE

Que veux-tu dire par là ? Mallot ne les achète pas, est un homme bon et ne souhaite que la liberté totale de ses semblables.

Deux de carreaux.

TOM

Là est bien le problème, c’est un homme trop ambitieux et égoïste.

Dix de cœur.

JADE

Ambitieux, peut-être, mais égoïste ? Je ne vois pas le mal qu’il fait par rapport à Perono !

Cinq.

TOM

Il abandonne sa femme et ses filles, soudoie un médecin pour avoir une fausse ordonnance, se dispute avec un homme aimé de tous, drague une secrétaire malgré l’existence de son ménage, et pour finir il menace de mort un second médecin.

As de pique, je prends.

JADE

Il fait comme tout le monde ! Soudoyer un médecin pour avoir l’occasion de fuir la douleur est normal.

Reine de trèfle.

TOM

Parce que menacer l’autre docteur de mort est normal aussi ?

As de carreaux.

JADE

Non mais…

Elle dépose un deux de cœur.

TOM

Ce professeur n’est pas un héros sanguinaire comme Caligula je le conçois, tout simplement car Caligula est pour moi un homme blessé, mais d’une manière il fait les mêmes erreurs par égoïsme. Il blesse son entourage, est imbu de lui-même et finit par se jeter dans la mort. Mallot est bien un héros sanguinaire.

As de trèfle.

JADE

Elle lui jette ses cartes.

Bien, bien ! Tu as gagné. De toute façon tu as probablement tous les as.

TOM

On fait un autre jeu ?

JADE

Non, je n’en ai plus envie. Et si on regardait La Tragédie du roi Christophe plutôt ? Il passe à 21 heures ce soir.

TOM

Il pose son menton dans sa main en soupirant.

Je sens que l’on va encore se disputer après…

 

Dorine Cresson