Sujet
: Écriture
d'invention
Deux
amis discutent des spectacles qui prennent pour héros un tyran sanguinaire, un
assassin. L'un souligne les dangers de cette idéalisation, l'autre en montre la
nécessité.
Rédigez
le dialogue théâtral qui met en place leur affrontement et leurs arguments.
Personnages
JADE ORLECHOCOLA
TOM HATECERIZ
Acte
I, scène 1
JADE, TOM
Les deux personnages sont dans
un salon aux tons pâles. Une fenêtre donnant sur la rue nous informe qu’il est
encore tôt. Sur la droite du salon, séparé par un mur se tient la cuisine rouge
et noire. Tom et Jade sont assis dans un canapé bleu turquoise devant une télé
passant un générique de fin. Tom est vêtu d’un sweat noir simple et d’un
jogging gris ample. Jade porte un short en jean et un t-shirt blanc à rayures
noires, ainsi que des bretelles. Le premier a l’air ravi, un grand sourire aux
lèvres, tandis que l’autre apparait soucieuse. Tom lance la conversation sur un
ton enjoué.
TOM
Il se penche vers la petite
table basse en sifflotant et y ramasse la télécommande pour changer de chaine.
Caligula est vraiment une
pièce grandiose !
JADE
Elle se redresse et pose sa
tête dans ses mains d’un air ennuyé.
Si tu le dis…
TOM
En plus savoir que c’est tiré
d’un personnage historique aussi important que César, d’une personne ayant
vraiment existé, la rend encore plus incroyable.
JADE
Elle secoue la tête en
soupirant.
Je dois t’avouer que je n’aime
pas ce genre de héros.
TOM
Il se retourne vers elle.
Ce genre ?
JADE
Tu sais, les héros qui sont en
fait méchants.
TOM
Caligula n’est pas si méchant
arrête.
JADE
Elle se lève avec un rire
nerveux et se dirige vers la fenêtre pour l’ouvrir.
Pas si méchant ? Il tue
des gens et force sa maitresse à l’aider dans ses méfaits.
TOM
C’était la vie d’avant, tout
le monde tuait tout le monde, et tout le monde avait des maitresses.
JADE
Elle sort du salon et entre
dans la cuisine.
Non, cet empereur était fou.
Tu veux boire quoi ?
TOM
Pas fou, juste triste. Tu
imagines ce qu’il a pu ressentir quand sa sœur est morte ?
JADE
Elle ouvre un placard et
cherche deux verres.
Tu veux dire lorsqu’une autre
de ses amantes est morte oui. Surtout qu’il dit lui-même que sa tristesse n’a
pas duré aussi longtemps que certains peuvent le penser.
TOM
Il se lève à son tour et s’assoit
à une chaise de la cuisine, laissant la télévision allumée sur une chaine de
musique.
On aura beau dire ce que l’on
voudra, la perte d’un être cher rend malheureux n’importe qui. Caligula devait se
mentir à lui-même. Oh je veux bien un jus de fruit s’il te plait.
JADE
Elle dépose les verres sur la
table et plonge la tête dans le réfrigérateur.
Certes, mais dans ce cas-là,
pourquoi tuer et rendre malheureuses les dernières personnes qui lui étaient
restées fidèles ? Celui à la framboise ou à la mangue ?
TOM
Parce qu’il était aveuglé par
la douleur du deuil, il ne se rendait pas compte de ses actes.
Il ferme les yeux, pris d’une
grande réflexion.
Je vais prendre mangue.
JADE
J’ai rarement vu d’autres
personnes tuer après avoir perdu quelqu’un. Il était fou plutôt.
TOM
Il est tout de même
intelligent je trouve. Il se doute bien du complot que ses patriciens préparent
pour le tuer, mais il parvient quand même à s’en mettre certains dans la poche.
JADE
Elle sert les verres avec une
lenteur extrême, donnant un coup d’œil vers le salon où passe un chanteur
qu’elle n’apprécie pas.
Il se prend pour Dieu, pour
une personne possédant toute la liberté d’autrui et pense détenir tous les
pouvoirs grâce à sa position d’empereur.
TOM
Il arque un sourcil en prenant
son jus de mangue.
N’est-ce pas réellement ce que
pense chaque empereur ? Et puis toutes ses pensées sont données de manière
humoristique dans la pièce.
JADE
Elle s’énerve de plus en plus,
comprenant que la télévision est en train de passer un concert du chanteur
qu’elle n’aime pas.
L’humour est présent parce que
Camus l’a bien voulu. Il parait qu’il a adouci le personnage de César pour qu’il
fasse un peu plus pitié au public.
TOM
César était jeune, venait de
perdre sa sœur, et ses patriciens voulait attenter à sa vie, évidemment qu’il
n’apparaissait plus comme quelqu’un de sain.
JADE
Elle se lève d’un bond pour aller
éteindre la télévision.
Il fallait s’attendre aux
représailles des patriciens puisqu’il s’amusait à tuer leur famille ! Et
il embarque son amante dans ses meurtres pour finir par la tuer elle aussi
malgré sa fidélité ! Je ne sais comment tu peux prendre en pitié un tel
personnage.
TOM
Il retourne dans le salon.
Tout simplement car c’est un
être humain. Malgré tout ce qu’il a fait, il n’en est pas moins quelqu’un qui a
des sentiments et qui n’a pas su les gérer à la mort de sa sœur.
JADE
Nous sommes aussi des êtres
humains et je ne me souviens pas avoir tué après la mort de ma grand-mère.
TOM
Ce n’était pas la même époque qu’aujourd’hui,
le meurtre n’est plus permis car punissable. Et puis tu n’as pas son grade non
plus. Toute sa vie César a dû entendre les autres lui répéter qu’il était tout
puissant car c’était un empereur, alors il se croyait tout permis.
Il croise les bras. Un rictus
apparait sur ses lèvres alors qu’il se penche en avant vers son amie.
Aussi, dois-je te rappeler que
tu avais neuf ans quand ta grand-mère est morte ?
JADE
Elle tourne vivement la tête
en rougissant.
Oui bon d’accord. Mais cela ne
m’empêche pas de penser que donner comme exemple, et encore plus comme héros,
des personnages sanguinaires n’est pas une bonne chose. Imagine si certains se
mettaient à le copier !
TOM
C’est que ces gens là ont un
problème mental. Personne de censé ne suivrait son exemple. Je pense au
contraire que ce genre de personnages est essentiel pour voir les limites à ne
pas dépasser.
Acte
I, scène 2
JADE, TOM
JADE
Elle s’assoit sur le canapé,
visiblement intéressée par son point de vue.
Tu veux dire des personnages
fous ?
TOM
Il la rejoint sur le canapé.
Oui ! Regarde, la folie
est aussi utilisée dans des histoires modernes comme morale.
JADE
Tu as d’autres exemples ?
Parce que je dois t’avouer que ce genre d’histoires ne m’intéresse pas trop.
TOM
J’ai un exemple que tu connais
bien pourtant.
JADE
Vraiment ? Lequel ?
TOM
Frankenstein de
Mary Shelley.
JADE
Je ne vois pas le rapport avec
la morale. La créature est mauvaise et tue toute la famille de Frankenstein
pour son bon plaisir.
TOM
C’est une punition pour
Frankenstein qui l’a créé en premier lieu ! Il s’est pris pour l’égal d’un
Dieu en donnant la vie et il meurt.
JADE
Je dois avouer que j’avais
plus pitié pour lui dans cette histoire que pour la créature.
TOM
Pourtant c’est bien
Frankenstein et les Hommes qui l’ont abandonnée.
JADE
Oui je vois… Donc Frankenstein
était un fou aveuglé par ses ambitions comme Caligula.
TOM
Exactement ! Et pourtant,
personne, du moins de ce que j’ai entendu parler, n’a retenté l’expérience de
Frankenstein et n’a fait de créature.
JADE
Pas faux.
TOM
Tout comme Frankenstein, Caligula
est une pièce qui montre les limites que les Hommes ne doivent pas dépasser en
se prenant pour des dieux, sinon la punition de la nature serait la mort.
Acte
II, scène 1
JADE
Jade, un jeu de cartes en
main, s’installe au sol sur un coussin autour de la petite table du salon. Tom
est dans la cuisine et met au four une pizza. Par la fenêtre, tout est noir
montrant que la nuit est déjà tombée. Elle mélange les cartes, puis ralentit
son mouvement jusqu’à totalement l’arrêter.
Je le sais, il n’a pas tort. Savoir
ce personnage si misérable fausse mon ancienne vision de lui. Pourtant je ne
peux que me rappeler à ses grands périls les outrages qu’il a commis. Femme,
enfants, vieillards… Tués par le tyran ! Une simple impulsion ? Une
curiosité malsaine ? Ah que de délits si peu pardonnables pour un seul
être ! Ce n’est pas un exemple, je le vois, je le sens, mais est-il la
représentation même d’une morale lorsque d’autres tels que lui existent en ce
monde ? Peut-être est-il un modèle de pouvoir pour ces démocrates
crapuleux qui persécutent leurs peuples, pour ces parents qui maltraitent leurs
enfants, pour ces patrons qui se croient au-dessus des lois.
Elle dépose une première carte
sur la petite table de bois à son opposé.
Non, Tom a finement compris ce
que je ne saisis point. Était-ce un tyran, il n’en reste pas moins homme.
Fervent serviteur de l’humanité, son espoir n’était-il pas l’immortalité pour notre
race par sensibilité ? S’il devenait dieu, alors nous le serions
aussi ! Tous un.
Elle pose une deuxième carte,
mais devant elle cette fois.
Mon Dieu, mais qu’est-ce que
je raconte ! Un homme provoquant douleur et terreur autour de lui ne peut
être bon ! Même par malheur, nul ne peut tuer et commander par tyrannie.
Le pouvoir l’a rendu aveugle et il s’est brûlé les mains dans la disgrâce de la
pire des façons. Il a tourné le dos à ses semblables, s’est retourné vers la
divinité, et a détourné son chemin de la bienfaisance des plus grands. Une telle
existence n’est de bon augure pour personne et ne devrait être montrée au
monde, et ce, encore moins en tant qu’héros d’une histoire, d’une pièce, ou que
sais-je d’un film !
Elle lâche soudainement les
cartes sur la table, les laissant éparpillées et désordonnées.
Je ne sais plus ! Doit-on
le montrer ? Le cacher ? Qu’est-il bon de faire ? Est-ce bien de
donner une morale ambiguë, ou mal de ne jamais faire savoir le côté sombre que
l’être humain possède ? Mais cela ne dépend donc pas des goûts, plutôt des
personnalités ? Devrait-on autoriser Caligula pour certains,
l’interdire pour d’autre ? Comment faire une sélection ? Je sens que
cette pensée me trouble et que je ne peux la résoudre seule.
Acte
II, scène 2
JADE, TOM
Tom démarre la cuisson de la
pizza et rejoint Jade dans le salon. Il la voit en train de ramasser toutes les
cartes pour les mélanger à nouveau.
JADE
Elle continue de mélanger le
paquet de cartes.
Tu sais, j’ai quand même un
doute sur cette histoire de morale que personne ne reproduit avec les héros
sanguinaires.
TOM
Je croyais avoir répondu à toutes
tes interrogations.
JADE
Elle forme deux petits paquets
égaux avec les cartes sur la table.
Je sais bien, mais j’ai
repensé à tout ce que tu m’as dit, et une œuvre m’est venue à l’esprit.
TOM
Il s’assoit en face de son
amie.
Laquelle ?
JADE
La pièce de théâtre qu’on a vu
la dernière fois à la télé.
TOM
Je soussigné Cardiaque ?
JADE
Oui voilà, et je me disais,
Mallot est bien le héros de cette histoire non ?
TOM
Eh bien oui.
JADE
Alors pourquoi est-il
considéré comme un héros sanguinaire ? Perono est bien plus sanguinaire
que lui. Bataille ?
TOM
Bataille. Et Perono n’est pas
sanguinaire.
Il prend la première carte de
son paquet et la retourne.
Dame de cœur.
JADE
Il achète les gens avec de
l’argent.
Elle retourne sa carte.
Roi de trèfle, je gagne.
TOM
Certes mais ils ne sont pas
maltraités. Et puis, ils ont l’air de tous l’aimer.
Six de carreaux.
JADE
Sont-ils vraiment
heureux ? C’est son argent qui fait leur bonheur imaginaire.
Trois de pic, tu gagnes.
TOM
Je pense que les personnes qui
l’entourent sont bien plus heureuses que celles autour de Mallot.
Vallet de trèfles.
JADE
Que veux-tu dire par là ?
Mallot ne les achète pas, est un homme bon et ne souhaite que la liberté totale
de ses semblables.
Deux de carreaux.
TOM
Là est bien le problème, c’est
un homme trop ambitieux et égoïste.
Dix de cœur.
JADE
Ambitieux, peut-être, mais
égoïste ? Je ne vois pas le mal qu’il fait par rapport à Perono !
Cinq.
TOM
Il abandonne sa femme et ses
filles, soudoie un médecin pour avoir une fausse ordonnance, se dispute avec un
homme aimé de tous, drague une secrétaire malgré l’existence de son ménage, et
pour finir il menace de mort un second médecin.
As de pique, je prends.
JADE
Il fait comme tout le
monde ! Soudoyer un médecin pour avoir l’occasion de fuir la douleur est
normal.
Reine de trèfle.
TOM
Parce que menacer l’autre
docteur de mort est normal aussi ?
As de carreaux.
JADE
Non mais…
Elle dépose un deux de cœur.
TOM
Ce professeur n’est pas un
héros sanguinaire comme Caligula je le conçois, tout simplement car Caligula
est pour moi un homme blessé, mais d’une manière il fait les mêmes erreurs par
égoïsme. Il blesse son entourage, est imbu de lui-même et finit par se jeter
dans la mort. Mallot est bien un héros sanguinaire.
As de trèfle.
JADE
Elle lui jette ses cartes.
Bien, bien ! Tu as gagné.
De toute façon tu as probablement tous les as.
TOM
On fait un autre jeu ?
JADE
Non, je n’en ai plus envie. Et
si on regardait La Tragédie du roi Christophe plutôt ? Il passe à
21 heures ce soir.
TOM
Il pose son menton dans sa
main en soupirant.
Je sens que l’on va encore se
disputer après…
Dorine
Cresson
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire